– Lettre ouverte de Natalia Porowska dans l’hebdomadaire le Radar, 10 avril 2015 –
Le 11 avril sera l’occasion d’une nouvelle démonstration de la détermination des Québécois. Des dizaines de milliers de citoyens en marche dans les rues de Québec réclameront une justice climatique auprès des décideurs nationaux. Le moment est bien choisi : passant d’une menace nébuleuse, les conséquences du bouleversement climatique se concrétisent: multiplication d’événements météo extrêmes, inondations surprises, sécheresses prolongées – tous ayant des impacts sur le portefeuille des Québécois et sur l’accessibilité des services. Or, au même moment, on entend un discours de sourds, de la part des élus, sur deux projets majeurs de développement pétrolier au Québec. D’une part, on nous propose d’investir dans l’extraction des maigres ressources fossiles confinées dans le sous-sol de nombreuses communautés québécoises. D’autre part, on nous vante les mérites du pipeline de Transcanada, qui devrait acheminer le bitume albertain vers les marchés internationaux. On peut se permettre de douter de l’existence d’une réelle conviction quant à l’ampleur du défi devant nous…
Pourtant, depuis quelques années, le gouvernement québécois semblait sur une bonne piste politique en soutenant le développement éolien, en créant un marché du carbone avec la Californie, en s’engageant dans l’électrification des transports… Mais, aussi encourageants que ces gestes puissent paraître, ils ne semblent pas témoigner d’une vision d’ensemble de la conjoncture économico-climato-énergétique. Plutôt, on remet en question les investissements nécessaires, on en fait le procès dans la cour des ristournes à court terme. On agite les spectres de la dette et de la stagnation économique, comme si ces dernières étaient des conséquences des efforts de responsabilisation environnementale et non d’une gestion myope du bien commun. Car si on nous parle quotidiennement de dette économique, personne ne semble s’attarder sur la dette écologique que nous continuons de pelleter avec entêtement vers l’avant.
Pourtant, les exemples de développement économique vert se multiplient à travers le monde, soutenus par des énergies renouvelables émergentes adaptées aux besoins et aux moyens des collectivités concernées – un développement respectueux des limites planétaires réelles. Ainsi, ces communautés ont su saisir l’opportunité cachée dans la crise, faisant évoluer leurs façons de voir et de faire, pour délaisser les habitudes d’un autre siècle, désormais périmées.
Aux Îles, le 11 avril, il n’y aura pas de marche des masses. Il se tient cette année, par contre, une démarche politique bien ambitieuse, avec des objectifs communs. Ainsi, l’Agglomération entretient-elle une Commission consultative sur les enjeux énergétiques, une réflexion sur les pistes que nous devrions suivre localement dans notre quête énergétique responsable. Une démarche à notre image et à notre échelle, teintée de nos valeurs et de notre vécu, qui saura, ose-t-on espérer, syntoniser la menace des changements climatiques que nous percevons déjà avec notre comportement énergétique collectif. Un véritable exemple de prise en charge.
Ironiquement, le 11 avril sera aussi l’occasion de souligner les 7 mois du déversement pétrolier dans le quai de Cap-aux-Meules, une illustration cuisante de la précarité de ce mode d’approvisionnement énergétique. Le pétrole, polluant de l’extraction à la consommation, est aussi dangereux lors de son transport et de son stockage, lesquels dépendent d’infrastructures coûteuses à installer et à entretenir. Et ce, même en temps de compressions budgétaires…
À l’aube d’une nouvelle saison de pêche, plusieurs constats ont pu être faits. Ainsi, on constate les limitations importantes quant à nos moyens de détecter, localiser et traiter des fuites de carburants, à fortiori en mer ouverte. On constate l’importance d’entretenir régulièrement les infrastructures d’entreposage et de transport, dont l’usure est parfois sous-estimée. On constate aussi l’importance de la vigilance et de la mobilisation citoyennes, essentielles semble-t-il pour assurer le respect et l’amélioration des règles en vigueur.
Mais au-delà de ces constats immédiats, saurons-nous, en tant que collectivité, tirer des leçons de ce déversement? Nous sommes-nous posé la question de fond quant aux coûts réels de notre consommation des énergies fossiles? Que coûtera le déploiement d’un réseau de centres d’intervention d’urgence sur la longueur du système Saint-Laurent, pour assurer la sécurité du transport fluvial? Que coûteront les mesures de nettoyages et les compensations pour dommages subis des inévitables déversements et fuites? Comment chiffrer et compenser ces dommages qui séviront en milieux naturels? Plus largement encore, comment chiffrer et compenser ces dommages qu’entraineront les changements climatiques, causés par la prolifération continue de l’usage des carburants fossiles? Et, surtout, comment se comparent-ils aux investissements nécessaires pour s’affranchir de ceux-ci et prévenir les problèmes nommés à la source?
Nous vivons bel et bien un moment charnière, ce printemps. Nous nous sommes données, localement et à l’échelle nationale, l’occasion de réfléchir à notre avenir. Aurons-nous l’honnêteté de nous poser les bonnes questions? Aurons-nous l’audace de voir au-delà des craintes et des contraintes à court terme? Imaginerons-nous des cibles dignes de ce nom? Nous ferons-nous assez confiance pour nous permettre d’inventer les solutions dont nous avons besoin? Aurons-nous le courage de changer? Des dizaines, voire des centaines de milliers de Québécois seront dans les rues de Québec pour dire «Oui!» à toutes ces questions. À notre façon, le 11 avril, soyons de la partie.
Nata Porowska
Iles de la Madeleine