Trois ans après le déversement du 11 septembre 2014 à Cap-aux-Meules, quel chemin a été parcouru?

IMG_1309BTout d’abord, Hydro-Québec (HQ) a reconnu sa responsabilité pour le déversement de 100 000 L de diesel au quai de Cap-aux-Meules. Suite à la publication du rapport d’enquête du MDDELCC, HQ a plaidé coupable et a été condamné à payer une amende de 410 000$. Les travaux de récupération & décontamination se seront échelonnés sur 3 ans, aux coûts estimés de 32 M$. HQ aura saisi l’occasion pour inspecter et remettre à niveau son oléoduc, améliorer ses processus de surveillance et se rapprocher des instances locales.

Du côté de la population, il y eut un choc à absorber. Notre mode de vie insulaire pétro-dépendant fut mis en lumière comme jamais. Cette fois la menace n’était non pas un lointain promoteur, mais plutôt notre propre consommation d’électricité, du moins les installations publiques la permettant. C’est dans cette mouvée qu’est née la volonté de créer un organisme indépendant en énergie qui œuvrerait en prévention. Réduire les besoins, les risques et les impacts des hydrocarbures, tels furent les principes fondateurs de l’AMSÉE qui, depuis sa fondation en 2015, s’est largement investi sur la place publique en matière d’énergie et ce, de façon entièrement bénévole. L’AMSÉE a saisi diverses tribunes pour faire valoir l’importance d’opérer une transition cohérente vers un système énergétique plus résilient combinant l’économie d’énergie, l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables.

Crédit photo: Léonard Chevrier

Ces propos résonnent avec diverses positions récentes de nos gouvernements : le Canada a adhéré à l’accord de Paris sur les changements climatiques, le gouvernement du Québec a adopté des objectifs de réduction de GES et sa Politique énergétique 2030. La création du Centre d’expertise et de gestion des risques d’incidents maritimes (CEGRIM) a été annoncée, tout comme le nettoyage d’autres sites contaminés. HQ a élargi le programme de soutien du chauffage au mazout pour y inclure le propane. La production d’énergie solaire se déploie peu à peu sur l’archipel et l’auto-production sera favorisée aux Îles par la bonification du programme mesurage net. Un programme local d’isolation des maisons par HQ est en cours et l’électrification des transports est entamée sur l’archipel qui compte maintenant 2 bornes de recharge du Circuit électrique. La Communauté maritime des Îles-de-la-Madeleine (CMÎ) a mené à terme sa démarche de stratégie énergétique territoriale, adoptant toutefois des objectifs en deçà de ceux de Québec. Enfin, HQ a lancé son plan stratégique prévoyant la transition des réseaux autonomes vers des énergies moins polluantes et mène en ce sens des rencontres avec la CMÎ via leur Table d’échange sur l’avenir de la centrale. Là, ces deux intervenants oeuvrent depuis un an à identifier les contraintes du milieu à inscrire à l’appel de propositions de janvier 2018, suite à quoi le mode de conversion de la centrale sera sélectionné par HQ en 2019 pour une mise en opération prévue dès 2023.

Ainsi, malgré tout ce chemin parcouru en matière d’énergie depuis le déversement, c’est encore droit devant nous que se dessine le plus grand changement de cap. Comment négocierons-nous le virage, en tant que citoyens? Saurons-nous nous pencher « du bon bord » et au bon moment pour accueillir la courbe harmonieusement? Ou assisterons-nous passivement à ce grand tournant, comme des passagers endormis, pour nous retrouver soudainement plaqués contre la portière?

À ce sujet, l’orientation favorable du MDDELCC envers le projet éolien de la Dune-du-Nord fait fi de la conclusion du rapport du BAPE à l’effet que le site devrait préalablement être réévalué (en raison du statut légal d’habitat protégé du site visé). Le comité de liaison de ce parc éolien vient donc d’être lancé et on franchira dans un mois l’étape de dépôt des soumissions. Bien que ce projet réduirait de 10% les émissions en GES de l’actuelle centrale thermique, plusieurs questions légitimes demeurent, d’autant plus que les discussions entre la CMÎ et HQ se poursuivent (s’achèvent) sans compte-rendu public. Comment concevoir le développement de la filière d’énergie éolienne sur l’archipel si le site sélectionné limité sera déjà saturé? Comment les producteurs d’énergies renouvelables feront-ils pour répondre au prochain appel de propositions si on n’identifie pas préalablement un secteur pouvant recevoir davantage d’éoliennes ou un parc solaire? Comment nous assurer que les intérêts divergents des membres de la communauté soient bien pris en compte? Que le critère d’acceptabilité sociale d’Hydro-Québec ne se résumera pas qu’à l’obtention de l’accord du conseil municipal?  Que tel scénario de conversion n’est pas déjà choisi ni éliminé? (Le câble pour certains, le gaz pour d’autres – à chacun ses épouvantails.) Malheureusement, les activités de la Table de concertation sur les hydrocarbures, seule instance de concertation touchant à la question de l’énergie, sont suspendues de facto depuis maintenant 2 ans, soit, paradoxalement, depuis le passage du Ministre Heurtel qui qualifiait alors les Îles-de-la-Madeleine de « canari dans la mine ».

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Mais quand vient le temps d’ouvrir le discours sur la place publique aux Îles-de-la-Madeleine, de faire valoir nos préoccupations et intérêts divergents, sommes-nous encore capables, en 2017, d’entendre et d’accepter la diversité des opinions et d’en reconnaître la valeur? Ou bien serons-nous tous contraints à endosser le consensuel rôle de « partenaires » de la communauté? Il y a un piège à cette tendance actuelle, où l’on forme des comités sur mesure, par nomination de partenaires ou de représentants favorables : c’est qu’elle évolue au détriment d’un véritable processus de concertation, où se confronteraient les différentes perspectives des parties prenantes variées, au bénéfice de tous. Ce processus est plus long, mais offre des résultats plus durables et évite, à long terme, bien des écueils.

Face à des enjeux collectifs aussi importants que la transition énergétique de l’Archipel, ne ferions-nous pas mieux de faire preuve de sagesse et de prudence? Et si, en voyant la courbe arriver à toute allure, on mettait le pied sur le frein, juste un instant, au bon moment, pour mieux prendre le virage ? N’est-ce pas ainsi que l’on parvient à véritablement s’engager sur une nouvelle voie?

« Virage insulaire agrémenté de pluie et de beau temps » Marianne Papillon 2016

Pour approfondir cette réflexion sur les rapports gouvernants/gouvernés et le pouvoir des communautés, l’AMSÉE vous invite à consulter la thèse de doctorat de Anne Fauré publiée en 2016 à l’École nationale en administration publique intitulée « Le rôle et la place de la conflictualité dans la Gestion intégrée des zones côtières (GIZC) : le cas des Îles-de-la-Madeleine » sur http://espace.enap.ca/136/.

– Marianne Papillon, présidente de l’AMSÉE, 11 septembre 2017

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